Actifs numériques Prestataires de services Encadrement

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Commentaire par  Pr Jean-Marc  MOULIN

 

ACTIFS NUMÉRIQUES

 Une nouvelle catégorie de prestataires de services spécialisés sur les actifs numériques voit le jour à l'occasion de l'adoption de la loi Pacte.

  1. n° 2019-486, 22 mai 2019, art. 86 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte)

 

La loi Pacte crée une nouvelle catégorie de prestataire de services financiers : les prestataires de services portant sur les actifs numériques. Un chapitre X vient à cette fin compléter le titre IV du livre V du Code monétaire et financier. Relevons que l'encadrement de cette nouvelle activité ne figurait pas dans les ambitions initiales du législateur ; en particulier, on n'en trouve nulle trace dans le rapport présenté à l'Assemblée nationale en première lecture (Rapp. AN n° 1237, déposé le 15 sept. 2018).

 

Certains d'entre eux devaient déjà se conformer à un embryon de réglementation en matière de lutte contre le blanchiment d'argent sale et le financement du terrorisme. C'est le cas, au niveau national, des prestataires d'échanges d'actifs numériques et notamment de monnaies virtuelles (C. mon. fin., art. L. 561-2, 7°) et c'est le cas, au niveau européen, des prestataires d'échanges de monnaies virtuelles en monnaies légales et de portefeuille de conservation notamment des clés cryptographiques en vertu des dispositions de la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme non encore transposée. De surcroît, et classiquement, certains prestataires sur actifs numériques pouvaient déjà être conduits à se soumettre à la réglementation financière traditionnelle (par exemple, devoir solliciter un agrément auprès de l'ACPR pour exercer l'activité de prestataires de services de paiement). Systématisant cette démarche, un amendement parlementaire déposé lors des travaux en première lecture devant l'Assemblée nationale, adopté par le Gouvernement, a conduit à créer un cadre juridique pour les prestataires de services sur actifs numériques.

 

Pour les besoins de l'encadrement des nouveaux opérateurs de ces services financiers, une définition des actifs numérique est donnée. Au sens de cette réglementation (C. mon. fin., art. L. 54-10-1), constituent des actifs numériques à la fois les jetons (tokens) mentionnés à l'article L. 552-2 du même code, à l'exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l'article L. 211-1 et des bons de caisse mentionnés à l'article L. 223-1, ainsi que toute représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement (monnaies électroniques et autres crypto-actifs). Relevons qu'une fois encore, et par un souci de cohérence qui doit être salué, cette définition reprend celle qui a déjà été retenue en droit fiscal pour les actifs numériques (CGI, art. 150 V, H bis, VI. – Chronique Finance durable et alternative : RD bancaire et fin. 2019, comm. 68).

 

Assez classiquement, les services sur actifs numériques comprennent le service de conservation pour le compte de tiers d'actifs numériques ou d'accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques, celui d'achat ou de vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal, d'échange d'actifs numériques contre d'autres actifs numériques, d'exploitation d'une plateforme de négociation d'actifs numériques ainsi qu'une série de services communs aux services financiers principaux visés à l'article L. 321-1 du Code monétaire et financier(la réception et la transmission d'ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers, la gestion de portefeuille d'actifs numériques pour le compte de tiers, le conseil aux souscripteurs d'actifs numériques, la prise ferme d'actifs numériques, le placement garanti d'actifs numériques, le placement non garanti d'actifs numériques – C. mon. fin., art. L. 54-10-2).

 

Les prestataires qui souhaitent proposer à leurs clients un ou plusieurs services sur actifs numériques sont soumis à un régime réglementaire original comportant, à ce stade, une phase obligatoire et une phase optionnelle les conduisant à procéder en deux temps : d'abord, ces personnes doivent dès la promulgation de la loi Pacte demander à être enregistrées auprès de l'AMF qui, pour ce faire, vérifiera qu'elles satisfont un certain nombre de règles d'organisation (honorabilité et compétence des dirigeants, que les associés principaux ou de contrôle garantissent une gestion saine et prudente du prestataire et possèdent l'honorabilité et la compétence nécessaires, mise en place d'une organisation, de procédures et d'un dispositif de contrôle interne propres à permettre au prestataire de remplir ses obligations – C. mon. fin., art. L. 54-10-3). La liste des prestataires ainsi enregistrés sera publiée par l'autorité de marché. Par décalque, cette obligation d'enregistrement prive tout opérateur non enregistré de la possibilité de proposer, en France, des services sur actifs numériques (C. mon. fin., art. L. 54-10-4) sous peine d'être sanctionné (C. mon. fin., art. L. 572-23, texte répressif d'interprétation stricte qui vise non point une obligation d'enregistrement mais une obligation de déclaration !). Avant de procéder à l'enregistrement d'un prestataire, l'AMF devra recueillir l'avis conforme de l'ACPR ce qui, de facto, place ces derniers sous une double tutelle réglementaire. Tout aussi classiquement, toute évolution chez le prestataire doit faire l'objet d'une communication auprès de l'AMF qui pourra, le cas échéant, suspendre le prestataire voire le radier mais seulement après avis conforme de l'ACPR.

 

Puis, dans un second temps, et à titre facultatif pour l'instant, les prestataires établis en France dûment enregistrés qui souhaiteront proposer, à titre de profession habituelle (précision qui semble vouloir indiquer que l'offre occasionnelle permet de demeurer en dehors du cadre réglementaire), un ou plusieurs services sur actifs numériques peuvent solliciter un agrément auprès de l'AMF (C. mon. fin., art. L. 54-10-5, I).

 

Pour bénéficier de cet agrément, les prestataires doivent satisfaire un certain nombre d'obligations (C. mon. fin., art. L. 54-10-5). Certaines sont communes (disposer en permanence d'une assurance responsabilité civile professionnelle ou de fonds propres, dont le niveau est fixé par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers, d'un dispositif de sécurité et de contrôle interne adéquat, d'un système informatique résilient et sécurisé, d'un système de gestion des conflits d'intérêts, de systèmes d'information à l'endroit de leurs clients pour qu'ils soient parfaitement éclairés et conscients des risques associés aux actifs numériques, d'un système de transparence de leur politique tarifaire, d'un mécanisme de gestion des réclamations de leurs clients et en assurent un traitement rapide). Comme il est permis de le constater, l'accent est mis sur la capacité et la sécurité des systèmes informatiques des prestataires ce qui apparaît effectivement essentiel dans un univers où les opérations de hacking sont extrêmement nombreuses. La loi prévoit au demeurant que l'AMF pourra, dans cette mission de contrôle, s'associer les services de l'Autorité nationale en charge de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).

 

D'autres obligations sont spécifiques pour chaque type de services sur actifs numériques sollicité (par exemple, conclusion de conventions précisant les droits et obligations des parties, conservation des actifs sur des comptes ségrégés, non-utilisation des actifs numériques sans l'autorisation du client propriétaire, publication des prix fermes des actifs, des volumes et des prix des transactions, exécution des ordres des clients aux prix affichés au moment de leur réception, négociation équitable et ordonnée des ordres, limites d'engagement des fonds propres sur les plateformes qu'ils gèrent que dans les conditions et limites fixées par le règlement général de l'AMF, disposer d'un programme d'activité et des moyens pour le mettre en œuvre...).

 

Des dispositions transitoires accompagnent cette construction qui est en réalité à deux étages : ainsi, les personnes qui exercent le service de conservation pour le compte de tiers d'actifs numériques ou d'accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ou le service d'achat ou de vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal, avant l'entrée en vigueur de la loi Pacte, bénéficient d'un délai de 12 mois à compter de la publication des textes d'application pour s'enregistrer auprès de l'Autorité des marchés financiers. Cet enregistrement obligatoire vise, en définitive, les prestataires concernés par les dispositions communautaires applicables en matière de lutte contre le blanchiment d'argent sale. Mais, c'est seulement dans un délai de 18 mois à compter de la promulgation de la même loi, que le Gouvernement, après avoir recueilli les avis de la Banque de France, de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et de l'Autorité des marchés financiers, remettra au Parlement un rapport visant à évaluer la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions et à étudier l'opportunité de les adapter, notamment en rendant obligatoire l'agrément prévu à l'article L. 54-10-5 du Code monétaire et financier, au vu de l'avancement des débats européens, des recommandations du Groupe d'action financière et du développement international du marché des actifs numériques. Autrement dit, c'est sur une base volontaire que les prestataires des services sur actifs numériques devront, dans un premier temps, solliciter leur agrément auprès de l'AMF. Comme pour les levées de fonds en crypto-actifs, les parlementaires se sont heurtés à une double difficulté en la matière : le fait que la plupart des opérateurs sont situés aujourd'hui à l'étranger et, d'autre part, la volonté de ne pas décourager l'implantation en France d'entrepreneurs dans ce domaine. La protection du public des investisseurs risque cependant d'en pâtir. C'est la raison pour laquelle, la loi Pacte modifie en conséquence les dispositions relatives au démarchage bancaire et financier : d'une part, pour faire entrer dans son champ le démarchage sur actif numérique afin de le réserver aux professionnels habilités (C. mon. fin., art. L. 341-1, 8° et 9°, nouveau) et, d'autre part, pour inscrire les actifs numériques sur la liste des produits financiers ne pouvant faire l'objet d'un tel démarchage « sauf lorsque l'activité de démarchage porte sur la fourniture d'un service sur actifs numériques au sens de l'article L. 54-10-2 par un prestataire agréé dans les conditions prévues à l'article L. 54-10-5 ou sur des jetons proposés dans le cadre d'une offre au public ayant obtenu le visa prévu à l'article L. 552-4 » (C. mon. fin., art. L. 341-10, 6°). L'idée est de tenir le grand public à l'écart des offres sur actifs numériques non régulées.

Mots clés : Actifs numériques. - Prestataires de services. - Encadrement

 

Revue de Droit bancaire et financier n° 4, Juillet 2019, comm. 145

 

 

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